Chronique : Nicolas Jaar – Sirens [Other People]

Génie ou dilettante ?

Sirens, le second album de l’Américano-Chilien Nicolas Jaar, est sorti le 30 septembre dernier sur son propre label Other People. À la rédaction, l’objet divise. Encensé par certains, critiqué par d’autres, il semblait utile alors de poser à plat les arguments en faveur et défaveur de cet album qui symbolise l’accomplissement d’une carrière pour les uns, et la déception pour les autres. On a donc fait deux chroniques du disque.

Publié dans le Trax Magazine #197 (novembre 2016) et sur Traxmag.com
Par Hervé Lucien et Sylvain Di Cristo

Une apothéose logique

On ne peut parler d’ »échec artistique » que si l’artiste a tenté quelque chose – ce qui impliquait alors un objectif. Mais quand Jaar lui-même avoue l’échec de ce deuxième album, j’y vois l’ombre d’un éternel insatisfait tant Sirens sonne, à la lumière de sa discographie, comme l’aboutissement symbiotique de son propre style, c’est à dire au milieu de ce triangle des genres auxquels il s’est déjà essayé : l’apothéose house made in Jaar de 2010, le virage bruitiste initié l’année suivante avec le Don’t Break My Love EP et l’ambient de son album-concept Pomegranates. Tandis qu’il a rarement marié sons, instruments et bruits avec autant de maestria et d’effort (la morceau « Killing Time » le prouve à lui seul), l’insolent garçon de 26 ans a également pu se payer deux choses après sa tournée avec Darkside : un studio avec du matos à la hauteur de son talent et le luxe d’apporter à ces six chansons une touche rockabilly qui lui va comme un gant. Comment ne pas fondre sur le slow de « History Lesson » ou imaginer Ivan Smagghe confesser un compliment à l’écoute de cette taclante ligne de basse sur « Three Sides of Nazareth » ? Comment rester insensible face à ces trop courtes onze minutes d’introduction extraites d’un rêve debussien ? Comment ne pas imploser devant la puissance galopante de « The Governor » et son tonnerre de cymbales acérées ? Enfin, et cela va dans le sens de son développement artistique, une dimension politique vient enrichir une formule déjà brillante d’intelligence sur « No », avec une référence à la « simple » question que le dictateur chilien Pinochet posait à son peuple en lui demandant s’il souhaitait qu’il reste au pouvoir pendant encore huit années. Du haut de cet album concentré qui s’aspire idéalement d’une traite, le jeune prodige semble plus accompli que jamais. Et pourtant on décèle encore dans Sirens un potentiel qui prédit que le meilleur reste à venir.

Sylvain Di Cristo

Nicolas Jaar

Un album limité et dilettante

J’ai moi aussi rêvé d’un Nicolas Jaar nous offrant des chefs-d’œuvre, séduit par les premiers remix et tracks (« Time For Us » en pierre angulaire) qui ont régénéré la house music sur le mode arty. Mais ses intermittences créatives commencent à lasser. Sirens constitue clairement une nouvelle étape dans ce que je considère comme un dilettantisme indigne d’un musicien de premier plan. On pressentait au cours des live avec Darkside que son ancien complice Dave Harrington a su un temps (précieux) canaliser l’essence créatrice du jeune prodige. Mais on ne se doutait pas qu’avec le naufrage de ce projet s’écroulerait aussi le cadre qui sublime ce talent naturel, le renvoyant au stade du brouillon qu’est Space is Only Noise. On espérait que Jaar ne serait pas prisonnier d’un son et d’une posture qui, parfois, constituent son style mais imposent aussi de sévères limites. Proposer en guise d’album un six titres de cet acabit ? À la limite, ces tracks pourraient constituer un maxi un peu généreux. Et le contenu refroidit aussi : dès l’intro de 11 minutes de « Killing Time », Jaar abuse de la temporisation et du délayage. Le propos musical est faible, entre un sample climatique et une phrase de piano ressemblant étrangement au « Daydreaming » de Radiohead… Pour ce qui est de la nouveauté des tracks électro-rockabilly, (« The Governor », « Three Sides of Nazareth »), Jaar a avoué s’être inspiré d’un Alan Vega récemment disparu (âme du New York punk, musicalement radical et politiquement insoumis) mais il se réapproprie cet héritage, ici rendu à ses codes les plus basiques, sans se tacher de graisse ni éprouver la moiteur qui font le sel de ce registre. Troublant aussi de constater que ces deux morceaux sont construits de la même manière, s’interrompant de manière abrupte en leur milieu, cache-misères d’un artiste qui n’a pas de suite dans les idées et abuse des effets. Si on laisse de côté les trois minutes ambient parfaitement inutiles de « Leaves » et la ballade doo-woop un peu bébête d’ »History Lesson » qui clôt l’album, seul le dub pop de « No » et son chant en espagnol trouve grâce à nos yeux par son originalité touchante. Mais c’est loin d’être suffisant : on n’entend pas dans ces chants de Sirens une merveille offerte aux humains mais une illusion perdue de plus.

Hervé Lucien

Report : À l’Elysée Montmartre, le live solaire de Nicolas Jaar

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