Vie et mort (et résurrection) d’un génie des années 90 bien trop en avance sur son temps.
Dans la famille “trésors négligés des années 90”, je demande Zambla. Alors qu’Internet n’en est encore qu’à ses débuts, une bande de potes produit ce qui deviendra plus tard l’un des meilleurs titres oubliés de la French Touch. Alors que l’artiste français connaît actuellement une improbable résurrection 2.0, Trax est allé en coulisses pour connaître la véritable histoire de ce génie bien trop en avance sur son temps. Ce que nous avons découvert ? Que Zambla était immortel.
Publié sur Traxmag.com le 6 avril 2016
Par Sylvain Di Cristo
5 avril 2014. Les rayons du soleil s’invitent dans la superbe salle du Parc des expo de Paris (l’Electric) où la légende Ricardo Villalobos amorce la fin de son set. Sortie des enceintes, une voix à l’accent foncièrement anglais parle de côtes à Ibiza où il fait très chaud, d’une plage sur laquelle des “salopes en bikini et nibards à 20 000 dollars” l’excitent beaucoup. La rythmique en 4×4 ultra-entraînante démarre, fraîche comme un mojito sur la Côte d’Azur en plein mois d’août. D’entêtants gimmicks de gratte passés sous phaser s’en dégagent et ne trompent pas : cette drôle de musique est bien estampillée French Touch, première du nom, option Ibiza censurée. Soudain, c’est le comble, les deux potes qui m’accompagnent finissent de hurler, en chœur avec cette voix, “d’aller se faire enculer derrière les rochers”.
Leur délire de lycée s’appelle Zambla. Les résultats sur Google ne sont pas fameux : une page Facebook avec quelques likes, une mystérieuse inscription “Sous le manteau featuring Zambla” sur l’artwork d’un disque, ainsi qu’un clip vidéo réalisé par “Zambla himself” qui touche à peine le millier de vues. Le morceau s’appelle “Derrière les rochers”. Les questions surviennent alors immédiatement : qui a produit ça ? Qui est Sous le manteau ? Qui est réellement Zambla ? Et, merde, pourquoi plus personne ne parle de ce formidable trésor ? Pendant les mois qui ont suivi, j’ai laissé mariner ces interrogations en même temps que je jouais systématiquement ce titre dans tous mes DJ sets. Parfois, des trentenaires éclataient de rire en réécoutant ce qu’ils reconnaissaient comme “ce vieux tube éphémère un peu pédé des années 90”. Je répondais toujours que c’était dans un set de Ricardo Villalobos que je l’avais entendu lorsque, un beau jour, quelqu’un rétorqua qu’effectivement, c’était un des classiques du Chilien. Le lendemain, je décidais de retrouver Zambla.
Nous sommes en septembre 2015 et un message de Zambla m’attend sur Facebook. Patrick Droit, boss de Fakir Music et manager de Zambla, m’invite à l’appeler au téléphone, surpris de ce regain d’intérêt pour son artiste et son ami de longue date. Et il me raconte tout.
“15 jours plus tard, ça partait dans tous les sens”
L’histoire commence en 1999. Homework de Daft Punk, sorti deux ans plus tôt, est l’œuvre la plus emblématique de cette vague French Touch qui déferle sur la Terre entière, mettant enfin la France sur la carte du monde de la musique. Patrick, qui avait monté son propre studio, vient de faire faillite. Un jour, ses potes restés à l’intérieur lui apportent un CD en lui disant : “Tiens, voilà ce qu’on a fait.” Ces mecs, ce sont le collectif Sous le manteau. “Quinze jours plus tard, ça partait dans tous les sens”, me lâche Patrick.
Le crew produisait des tracks pour plusieurs artistes. Le noyau dur de Sous le manteau devint même, en 2001, le groupe Grand Tourism, à qui l’on doit le titre “Les Courants d’air” qui habilla pendant cinq ans les pubs TV des opticiens Krys.
“Nous n’étions pas de Versailles, mais nous étions dans la même tendance musicale, la French Touch”, m’explique Patrick. Le soir, tard, un certain Christophe Galud, photographe et réalisateur vidéo, a pour habitude de passer au studio, de prendre le micro et de parler par-dessus les démos du collectif : “Il délirait. Un peu comme un rappeur le ferait, mais pas du tout en rythme. Il n’écrivait aucune parole, il jetait tout comme ça. Bon, il n’était pas forcément net pendant ces moments-là, c’est un bon vivant le garçon. Mais tout était improvisé. C’est un mec qui a de l’humour, il a la tchatche, une manière de s’exprimer vraiment à lui, et je ne parle pas de son accent anglais qui est un effet de sa part, ça le faisait marrer.” Le crew accroche, Zambla est né. Une fois la voix enregistrée, Sous le manteau se met à coller les paroles de Christophe sur le tempo et accouche d’un titre, une seule version de presque huit minutes : “Derrière les rochers”.
Un succès improbable
L’été 1999 arrive et le single est signé en licence chez Gambler, une division de Sony. À cette époque, Internet n’en est qu’à ses balbutiements et la promo est “faite maison”. Les premières copies ne sont pas des CD mais des vinyles (un format alors en berne) à destination de tous les DJ’s des clubs des stations balnéaires de France : “De Calais à Biarritz, de Perpignan à Nice. Au Papagayo de Saint-Tropez, ça a cartonné, ils l’ont joué pendant des années, peut-être même qu’ils le jouent encore”, rigole le manager. Le succès pointe le bout de son nez, mais un homme va définitivement faire exploser le morceau au niveau national, et plus encore. Le regretté Léon Mercadet, alors rédacteur en chef de Novaplanet.com, le site de Radio Nova, affiche la chanson en pleine page d’accueil pendant deux mois, à la grande surprise de Patrick : “Après Nova, NRJ et Fun ont suivi. Chose incroyable parce que cette version, aussi vulgaire soit-elle, faisait presque huit minutes, donc hors format complet ! Mais ça a quand même pris et on s’est retrouvés en prime time.”
La surprise est totale du côté du collectif. Zambla semble parti pour devenir la figure du tube de l’été 99… mais n’a pas encore de clip. Dans la foulée, ses potes et lui tracent à Fontainebleau pour avoir du sable, du soleil et des rochers – faute de pouvoir se payer un aller-retour à la plage : “On n’avait pas une thune, on était complètement à l’arrache. Pire, on se pointe sur place, il se met à pleuvoir. Pendant tout le tournage, qui a duré une journée, on a eu un temps pourri.” La vidéo atterrit sur M6 en même temps que le single décroche un disque d’or en Belgique et s’entend partout dans la ville de Lille et sur la côte d’Azur. Zambla est même invité à se produire en live sur les tournées de NRJ.
À l’automne, le titre est sur des dizaines de compilations, celles de majors comme sur certaines plus spécialisées, et le single est vendu à plus de 500 000 exemplaires tous supports confondus. Avec l’argent généré, Patrick fonde sa propre structure, Fakir Music, pour gérer la suite de ce succès : “Nous ne sommes quand même pas devenus riches. Nous n’avons finalement touché que 25% des recettes du single, le reste est parti chez Gambler, mais nous avons fait une bonne année.”
Un projet étouffé dans l’œuf
La sous-division de Sony ferme un ou deux ans après. Pendant ce temps-là, le collectif Sous le manteau et Zambla travaillent sur de nouveaux titres avec l’idée d’en faire un album : “Ça a pris du temps, parce que le garçon est quand même un petit peu ingérable, mais ça avançait.” Enfin, en 2003, l’album – qui n’a pas de nom – sort chez Fakir Music, distribué par Night & Day, l’un des plus gros distributeurs français du genre à l’époque. Le single ? “J’suis pas rassuré”, immédiatement clippé par, cette fois-ci, l’un des grands vidéastes du moment, Didier Kerbrat (David Hallyday, Robyn, Yannick Noah…).
La promo se veut professionnelle, l’investissement financier et humain est conséquent mais quelque chose foire : “On a fait des soirées dans tout Paris, on s’est bougé dans tous les sens. On avait une nouvelle fois les radios, Fun, NRJ, Nova, la FNAC avait mis un macaron “prix vert” sur les disques placés en tête de gondole. Puis, quelques mois après, le distributeur a fermé. On ne le savait pas à ce moment-là, mais ils étaient au bord du dépôt de bilan et ne se sont pas vraiment investis dans cette sortie.” En même temps, l’album ne rencontre pas le succès escompté. “Un jour, j’ai reçu une lettre qui me disait que si je voulais récupérer le stock de CD, je pouvais aller à l’entrepôt. J’en ai pris à peu près 3 000”, raconte Patrick, encore un peu amer.

Fakir Music fait le tour de tous les distributeurs qui refusent un à un de reprendre le bébé, pas franchement tentés par l’idée de récupérer un projet à moitié avorté : “On n’a trouvé personne et le truc s’est endormi.” Quelques mois plus tard, Zambla se remet à ses travaux de photos et s’achète un refuge de montagne en ruines qu’il retape (encore aujourd’hui) aux îles Canaries. Fin de partie.
Internet, 2.0ème chance
Au téléphone avec le manager, devant la pluie battante de cette triste journée de septembre 2015, je ne peux m’empêcher de penser que l’industrie de la musique regorge d’histoires de ce genre, de carrières qui décollent et qui se ramassent aussitôt. Je me dis également que tout ceci ferait un bien beau film, dans la lignée d’un Eden, Searching for Sugar Man ou plus récemment Belgica. Je m’apprête à raccrocher quand Patrick me demande si mon appel a quelque chose à voir avec “le buzz qui se passe en ce moment autour de Zambla”. Étrange, la dernière fois que j’avais regardé, rien ne dépassait le millier de vues. Tu parles d’un buzz. Il enchaîne avec un certain mec du nom de Benzaie. Ça ne me dit rien, alors il reprend depuis le début : “Tout récemment, je me suis remis sur le Facebook de Zambla pour voir un peu ce qui s’y passait. Pour déconner, je poste un truc sur la page de Zambla. Là, je vois que la publication atteint 4 000 personnes. J’étais habitué à voir 30 ou 40 personnes touchées, mais pas ça. Je vois les likes augmenter, les commentaires aussi. Je me demande d’où ça sort. Je me mets à fouiner et je tombe sur un gars dénommé Benzaie sur YouTube.”
450 000 abonnés, 80 millions de vues sur l’ensemble de ses vidéos : Benzaie est un type qui se filme en train de jouer à des jeux vidéo. Sa communauté est tellement forte qu’elle est capable de transformer une vidéo d’un petit millier de vues en un buzz à retardement de plus de 450 000 visionnages. La vidéo dont je parle ici, c’est le clip de “J’suis pas rassuré” et l’explication est donnée par Benzaie en personne : “Ça a commencé comme une private joke avec un pote dans une vidéo de ma série HARD CORNER”, me raconte par mail le gamer basé en Finlande. Dans les commentaires de sa vidéo, beaucoup reconnaissent déjà le clin d’œil à Zambla.
Plus tard, Benzaie l’utilise même en fond sonore (à la 26e minute de cette vidéo) puis crée carrément le personnage du jeu vidéo auquel il joue à l’effigie de Zambla (suite aux nombreux votes de sa communauté en ligne ; autour de la vingtième minute de cette vidéo). Il précise : “Cette chanson est très vite devenue un hymne pour ma communauté, les répliques de Zambla fusent depuis sur mon chat et on me la réclame à chaque fois qu’un personnage ‘n’est pas rassuré’.” Benzaie a sa petite idée sur le succès du titre : “Zambla, ce n’est justement pas le genre de trucs ringards qu’on trouve sur Bide et Musique.com. C’est un style vraiment assumé et parfaitement maîtrisé qui fait qu’on y revient, et ses répliques sont cultes d’avance. Au-delà de la découverte, la musique fait vraiment planer et elle préfigurait beaucoup de choses qu’on entend aujourd’hui sur les ondes. C’était de la musique taillée pour la génération Internet avant l’heure (celle qui peut prendre le temps d’être curieuse de tout). Cela expliquerait sûrement pourquoi on est des milliers à se mettre du Zambla à 3 heures du matin en jouant à un jeu violent !”
Lorsque Patrick découvre tout ça, il décroche immédiatement son téléphone : “Quand je l’ai contacté pour le remercier, il a d’abord eu peur que je l’engueule au sujet des droits d’auteur ! (Rire.) Depuis, des jeunes qui le suivent m’ont demandé si le vinyle de l’album existait, mais on ne l’a jamais produit.” Bonne nouvelle, à l’heure où j’écris ces lignes, un crowdfunding Ulule a été créé pour appeler la communauté à participer financièrement au pressage de l’album sur vinyle. En seulement deux jours, plus de 50% de l’objectif a été atteint et d’ici la publication de cet article, vous pourrez peut-être même en commander.
Mais la question persiste : que va faire Zambla ? Va-t-il revenir des îles Canaries ? Va-t-il profiter de ce revival pour annoncer son grand retour après treize ans d’absence ? Repartir en tournée ? Retourner un clip ? Mieux, refaire un album ? Malheureusement, au lendemain de notre appel téléphonique, le manager éteint tout espoir : “Avec la team, nous n’avons aucune nouvelle de Zambla. Il est au courant mais il n’est pas là. Je pense que ces débuts des années 2000 ont été un moment de grâce. Une rencontre improbable (et pas facile) entre une verve, un talent venu d’ailleurs et des musiciens en pleine recherche de nouveaux sons. L’alchimie a fait son temps. Le phénomène l’a dépassé et il n’a finalement jamais assumé son rôle d’artiste/auteur. Le personnage, lui, reste. Et est bien vivant dans la nouvelle génération qui s’y reconnaît. Aujourd’hui, il est passé à autre chose et s’en est totalement détaché. En résumé, on ne l’aura pas ce coup-ci.” N’est-ce pas comme ça que l’on crée les légendes ?
J’ai connu sur un Radio Edit du Cd « Hits 98 » il me semble, comme quoi !