« J’aime simplement créer des musiques folles. »
Rencontre avec Randomer, l’un des artistes les plus en vue de la scène UK techno du moment et écoute exclusive du track « Concierge », issu de son dernier EP sur Clone Basement Series.
Publié sur Traxmag.com le 13/06/2016
Par Sylvain Di Cristo
Si, vous connaissez Randomer. En 2013 et même l’année d’après, dans presque tous les bons sets techno parisiens notamment, une chanson d’une exceptionnelle obscurité brillait par sa puissance. Une mélodie et des sons hantés par-dessus un kick aussi élégant que transperçant, « Bring » s’est obligatoirement retrouvé dans notre top 5 des meilleurs tracks techno de l’année. Son auteur, le Londonien Rohan Walder, apparaissait enfin sous cette lumière qu’il mérite depuis ses débuts en 2008, alors épris de drum’n’bass, jungle ou dubstep.
Sur Trax, Happa ou encore JoeFarr nous avouaient déjà le respect qu’ils portent pour le travail de l’Anglais et pour sa techno toujours agrémentée de ce je-ne-sais-quoi inexplicable qui nourrit notre dépendance à cet artiste discret.
Tu es actif depuis 2008 et pourtant, tu gardes encore une aura underground et fantomatique : on ne trouve pas grand-chose sur toi sur Internet ou dans les médias. Tu préfères laisser parler la musique ?
Oui, complètement. J’ai fait mon premier disque en 2008 mais je n’ai pas arrêté de produire depuis. Je n’essaie pas d’exprimer quoi que ce soit avec ma musique, il n’y a donc pas grand-chose à dire. J’aime simplement créer des musiques folles.
Ton premier amour en termes de musique électronique ?
La drum’n’bass et la jungle. À Londres, avant l’ère du streaming et d’Internet, tu pouvais écouter tellement de radios pirates qu’il n’y avait presque aucun espace libre entre elles sur les ondes ! Je faisais des mixtapes de mes tracks préférés et je les écoutais à l’école.
« En réalité, tu n’as pas besoin de vieil équipement ou d’équipement analogique du tout. »
Comment en es-tu arrivé à la techno ?
C’est assez récent, finalement. J’ai très longtemps renié la musique en 4/4 parce qu’elle paraissait fade comparée à la drum’n’bass et au dubstep, là d’où je viens musicalement. Mais quand la UK funky est arrivée, ça m’a poussé dans la bonne direction et je suis tombé amoureux de la house et de la techno, en particulier après avoir vu ce documentaire, Pump Up The Volume, à propos de l’origine de ces genres musicaux.
Tu possèdes certains des kicks techno les plus élégants et pourtant les plus puissants du moment. Et on peut en dire autant de ton son en général. Serais-tu un geek des machines analogiques ?
J’aime bien ce que les gens peuvent percevoir comme « analogique », mais ce son peut s’atteindre de plusieurs façons. En réalité, tu n’as pas besoin de vieil équipement ou d’équipement analogique du tout. Moi, j’utilise et de l’analogique, et du digital. L’alternance, c’est inspirant.
JoeFarr, Happa… Même sur Trax, un bon nombre d’artistes de la scène techno britannique nous ont dit le respect qu’ils portaient à ton travail et ton son. Rétrospectivement, depuis 2008, dirais-tu que tu as aujourd’hui trouvé la bonne formule ?
Ça m’a pris plus de temps que beaucoup d’autres artistes, mais je pense que j’ai enfin réussi à polir chaque élément musical que j’aime pour les rassembler dans quelque chose de bon. Je crois que les gens apprécient la lourdeur que je peux donner à mon son, mais aussi les bifurcations de style que je peux prendre.
Que cherches-tu réellement à créer en musique ? Le son qui fera le plus de dégâts sur le dancefloor ?
Pour créer quelque chose de puissant, oui, ça aide de garder ça à l’esprit. Mais au final, je veux être bousculé, physiquement, émotionnellement.
Ton track « Bring » de 2013 sur Hemlock a pu s’entendre toute l’année dans les meilleurs sets de techno de Paris. As-tu ressenti ce succès également d’Angleterre ? Comment l’expliques-tu et quelle est l’histoire derrière ce track ?
C’est vrai que c’est le morceau que la plupart des gens connaissent de moi. Je suis content que ce soit arrivé parce qu’au moment où je l’ai écrit, je voulais vraiment en faire un gros hit. Mais après l’avoir fait, je me suis dit que ce n’était finalement pas bon du tout. Je ne l’ai envoyé à personne. Quelques semaines plus tard, voilà que je me remets à l’apprécier et j’ai eu l’intuition que Ben UFO pourrait l’aimer. Je lui ai donc envoyé et il l’a joué dans son show Hessle Audio sur Rinse. À partir de là, j’ai vu des réactions incroyables de la part du public, je n’arrivais pas à comprendre. J’espère vivre à nouveau un moment pareil à l’avenir.
En parlant de Paris et de la France en général, es-tu un peu au courant de ce qui se fait en ce moment ici en termes de techno ? Et si tu comparais la scène techno française à celle anglaise dans laquelle tu gravites, Blawan, Surgeon, Happa, Perc, Untold…
Il y a une magnifique techno qui sort de France et les soirées françaises sont toujours incroyables, super atmosphère, public et promoteurs. La scène anglaise est plus fragmentée en termes de goûts, ce qui est naturel, nous avons tellement de sous-genres électroniques que les gens aiment.
« Je veux être bousculé, physiquement, émotionnellement. »
Le mois dernier, tu as sorti l’EP Concierge chez Clone. Qu’as-tu voulu créer ? Comme son nom l’indique, il semblerait que tu aies utilisé des samples de bruits de bois dans le track « Woodwork ». Et pour « Concierge » alors ?
Il n’y aucun sample de bruits de bois en fait. Quand j’ai fait « Woodwork », j’écoutais énormément d’instrus hip-hop underground des années 90, en particulier des morceaux qui samplaient de la musique concrète. Je voulais recréer cette vibe dans des tracks techno. J’ai donc utilisé des samples de musique concrète à mon tour pour en faire des instruments et concevoir mes propres mélodies. « Concierge » a une histoire similaire, c’est pour cette raison qu’ils sont ensemble sur cet EP.
Si tu devais deviner lequel de ces deux titres pourrait atteindre le top 10 des meilleurs tracks techno de l’année, ce serait… ?
Je n’en sais rien, mais j’ai une petite préférence pour « Concierge ».
Pour terminer, ta prochaine release, Running Dry, prend un tournant plus mélodique que la précédente. Était-ce une décision consciente, peut-être par rapport au label sur laquelle elle sort, Dekmantel ?
En réalité, je produis beaucoup de morceaux mélodiques, mais je préfère garder la plupart d’entre eux pour moi. Les mélodies peuvent être assez émotionnelles et personnelles quand tu les composes. J’inclue déjà des mélodies dans pas mal de mes tracks techno, mais les gens ne les perçoivent pas comme telles à cause des instruments qui les jouent, comme les percussions parfois. Travailler avec Dekmantel a certainement été un bon moyen de montrer davantage ce travail mélodique. Et vu le superbe accueil de cet EP, j’ai hâte d’en proposer encore plus à l’avenir.
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