Et pourquoi eux.
Cette année, Sound Pellegrino a dix ans. Dix piges que Teki Latex a quitté le rap français pour la musique électronique. Et quand Teki Latex aime quelque chose, il s’y investit vraiment. Il suffit de voir le sérieux et la passion avec lesquels il parle de musique pour comprendre que le DJing n’est pas seulement quelque chose qui lui plaît, mais un domaine qu’il masterise. Le roi autoproclamé du blend est un travailleur acharné qui peut passer des semaines sur une seule mixtape à la recherche du bon track, de la transition parfaite. On le voit encore avec sa dernière, Sophia Antipolis qui compile du latin freestyle des années 80-90 avec l’italo-disco de ses souvenirs de vacances sur la Côte d’Azur.
Mais en dix ans, Teki Latex n’a pas simplement réussi à devenir l’un des DJs les plus adroits de la scène électronique française, il a aussi mérité son surnom de « Père Teki » en dénichant des talents comme le collectif Paradoxe Club (Sunareht, De Grandi, Le Dom), Betty, Miley Serious, pour son propre compte (et celui de son mouvement Bérite Club Music) ou pour celui de Rinse France ou encore Boiler Room dont il est l’hôte et le représentant national.
Avant de le retrouver aux platines de la 7e édition du festival Coconut à Saintes (12-15 septembre), on s’est posé la question que beaucoup devraient se poser quand il s’agit du futur de la musique électronique : mais qu’en pense Teki ? Sur quels artistes parie-t-il pour 2020 ? Et pourquoi ? Réponses commentées par l’intéressé en six artistes.

1/ Anz
Anz est de Manchester. Elle a produit mon maxi préféré de l’année (sorti sur 2 B Real, l’excellent label du prodige mancunien Finn) qui réconcilie l’esprit rave avec la bass américaine de l’axe Miami/Atlanta, le tout en utilisant des sonorités à la fois futuristes et retro en haute définition et une sensibilité breakbeat très britannique. On dirait de la musique de jeu video Sega Megadrive mais qui retourne un club. Dès que je joue « No Harm », une sorte d’émeute euphorique se produit sur le dancefloor. En plus de ça, comme le prouve son récent Boiler Room, c’est une DJ hors du commun experte en mélange de styles qui a écumé les scènes locales pendant de nombreuses années et qui va, à mon avis, exploser dans les mois qui arrivent.
2/ Sunareht
Sunareht fait partie du collectif parisien Paradoxe Club. Sa musique sonne principalement comme de la house filtrée euphorique et tout en montées, sauf qu’il n’y a pas ou presque pas de percussions. Comme si on avait gardé que la montée et que le drop ne venait jamais. En général ça a pour effet de frustrer l’auditeur dans un premier temps, puis quelque chose de magique se produit et on se retrouve enveloppé dans un nuage de bonheur hypnotique avec une pulsation mais sans kick drum, une mélodie tantôt pleine d’espoir ou de mélancolie qui ne touche jamais terre. C’est particulièrement agréable à mixer avec de gros drum tools qui vont finir par ancrer ces mélodies sur le dancefloor. C’est vraiment de l’ambient mais fait pour moi. Objekt et Aphex Twin ne s’y sont pas trompés et jouent ses tracks régulièrement. Je sens qu’il est également en train de se passer un truc autour de deux des autres membres de Paradoxe Club, Le Dom et De Grandi. Tous sont nés du mouvement Bérite Club Music à Paris et sont en passe de séduire le reste du monde, maxi après maxi.
3/ KG
L’histoire de l’anglaise KG est particulièrement intéressante. Quand elle était toute jeune en 2007 elle produisait déjà de grosses tueries UK funky qui s’échangeaient entre DJs sur Internet via les forums dédiés au genre, sans vraiment être disponibles commercialement. Onze ans après, alors qu’elle avait plus ou moins disparue des radars des DJs, le label Goon Club Allstars a pris l’initiative de sortir ces hymnes underground officiellement sur un EP. Depuis, KG est le témoin d’une véritable renaissance dont la dernière preuve est son récent EP en collaboration avec Scratchclart (Scratcha DVA) qui explore les liens entre Gqom et UK Funky. C’est une DJ redoutable qui a pour originalité de bénéficier à la fois de la fraîcheur de la nouveauté et d’une certaine sagesse liée à son expérience.
4/ Avernian
Avernian est un producteur américain résident à Manchester. Il a sorti un EP qui a pas mal tourné récemment, en collaboration avec son compère Strick originaire d’Ottawa. Les autres démos d’Avernian qui tournent sont impressionnantes d’efficacité et ont déjà trouvé leur place dans les sets de DJs comme Ploy, Ben UFO et moi-même. Il incorpore des influences sud-africaines, anglaises et américaines dans sa club music tout en percussion. Il en résulte des tools hyper agréables à jouer et pleins de relief. Un énorme potentiel.
5/ Schacke
Au début de l’été 2019, j’ai remarqué qu’un certain nombre de DJs que j’apprécie jouaient tous le même morceau de techno rapide avec des paroles en russe et une ligne de basse italo incroyable. En fouillant un peu, j’ai découvert qu’il s’agissait du morceau « Kisloty People » de Schacke. Tout au long de l’été, le morceau est progressivement devenu un tube incontournable dans certaines sphères et j’ai cherché à en savoir plus sur lui. Il s’agit d’un artiste danois même si le morceau en question (ainsi que l’EP dont celui-ci est tiré) est une ode au club Kisloty de Saint-Pétersbourg, un temple techno russe symbole de liberté et de culture underground qui a malheureusement fermé ses portes au printemps dernier. Schacke a d’ailleurs réalisé cet EP lors d’une résidence dans le complexe adjacent à Kisloty. Cette dualité entre techno dure, sans concession et italo romantique qui tend presque vers l’eurodance, semble présager un futur plus qu’intéressant pour Schacke.
6/ Gigi FM
Gigi FM est une DJ française qui réside à Londres dont l’ascension est fulgurante. En enchaînant régulièrement les shows sur NTS et Netil Radio, elle s’est construite un univers musical entre breakbeat, techno, bass music, méditation et fulgurances rap. En jouant back to back avec elle, j’ai constaté qu’elle était sensible à la synesthésie, c’est à dire qu’elle voit les sons comme des couleurs. Elle classifie donc les morceaux qu’elle entend et qu’elle joue comme étant jaunes, bleus ou violets, ce qui est tout à fait fascinant. J’ai aussi eu l’occasion d’entendre des productions qu’elle a sous le coude et j’ai très hâte que ça sorte. Elle tourne en ce moment dans toute l’Angleterre avec Boiler Room, elle a récemment partagé les platines avec Objekt, DJRUM et Make Me, elle a également un projet qui lie danse, technologie et live électronique. Elle déborde d’énergie et je pense qu’on va énormément entendre parler d’elle très bientôt.
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Retrouvez Teki Latex au Coconut Festival à Saintes du 12 au 15 septembre ; bientôt sa prochaine mixtape sur le thème des jeux vidéos, en collaboration avec Nick Dwyer de l’émission Diggin’ In The Carts ; et la soirée des dix ans de Sound Pellegrino avant la fin de l’année.
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